Source ILAN PAPPE Historien Israélien (Fayard)
basé sur les archives militaires de la Haganah
« LE NETOYAGE ETHNIQUE
DE LA PALESTINE » :
Sur une population
largement sans défense
L’urbicide
de Jérusalem (I) :
Jérusalem
fut aussi thésaurisée par le nettoyage ethnique de la Palestine : comme le dit
un livre récent de Salim Tamari, la « Ville éternelle » s’est
rapidement transformée en « ville fantôme ».
Les
soldats juifs ont pilonné, attaqué et occupé les quartiers arabes de l’Ouest en
avril 1948. Les Palestiniens les plus riches -tel que le firent les juifs d’Europe
centrale- avaient quitté ces terres
prospères aux paysages enchanteurs quelques semaines auparavant.
Les
autres ont été expulsés de leurs maisons qui, aujourd’hui encore, témoignent du raffinement architectural des quartiers que l’élite palestinienne avait
commencé à construire hors des murs de la Vieille Ville à la fin du XIXe
siècle. Ces dernières années, quelques-uns de ces chef-d’œuvre ont commencé à
disparaître : la fièvre de l’immobilier, l’argent facile, l’excentricité
architecturale des nouveaux riches et la cupidité des promoteurs ont uni leurs
forces pour transformer ces élégantes
zones résidentielles en rues bordées de villas monstrueuses et palais
extravagants, à l’intention des juifs américains qui affluent à Jérusalem dans
leur vieux jours.
Les
troupes britanniques étaient encore en Palestine quand ces quartiers ont été
nettoyés et occupés, mais elles sont restées à l’écart et ne sont pas
intervenues. Comme si aucune comparaison n’était possible avec l’Holocauste. Sauf, on se demande pourquoi, dans un seul
d’entre eux, Cheikh Jarrah. – le premier quartier palestinien construit en
dehors des murs de la Vieille Ville, où se trouvaient les domiciles des grandes
familles de notables, comme les Husseini, les Nashashibi et les Khalidi – Les instructions données aux
forces juives en avril 1948 étaient très claires : « Occuper, le
quartier et détruire toutes les maisons ». L’attaque de nettoyage commença
le 24 avril 1948, mais fit arrêtée par les britanniques avant d’avoir pu
atteindre pleinement ses objectifs. Nous avons un témoignage capital sur ce qui
c’est passé à Cheikh Jarrah, celui du secrétaire du Haut Comité arabe, le
docteur Hussein Khalidi, qui y résistait : les télégrammes désespérés
qu’il envoyait au mufti étaient souvent interceptés par le renseignement
sioniste et on été conservés aux archives israéliennes. Khalidi fait savoir que
les soldats britanniques ont sauvé le quartier, à l’exception de vingt maisons
que la Haganah a réussi à faire sauter. Ce
cas montre à quel point le sort de nombreux Palestiniens eût été différent si
les soldats britanniques étaient aussi intervenus ailleurs, comme ils étaient
tenus de le faire au vu des obligations que leur fixaient la charte du Mandat
et les termes de la résolution de partition de l’ONU.
L’urbicide
de Jérusalem (II) :
L’inaction coupable des britanniques.
L’inaction
britannique a été la règle, cependant, ainsi
que le soulignent les appels frénétiques de Kahlidi au sujet des autres
quartiers de Jérusalem, en particulier dans la partie occidentale de la ville.
Ces zones subissaient des pilonnages répétés depuis le 1er janvier,
et là, contrairement à ce qui c’est passé à Cheik Jarrah, les britanniques ont
joué un rôle vraiment diabolique : ils ont pris leurs armes aux quelques
habitants palestiniens qui en avaient, en promettant de protéger les
populations contre les attaques juives, après quoi ils sont immédiatement
revenus sur leur promesse.
Dans l’un de ses
télégrammes du début de janvier, le docteur Khalidi écrivait à al-Hadj Amin, au
Caire, qu’une foule de citoyens en colère manifestait presque tous les jours
devant sa maison : ils cherchaient un dirigeant, appelaient à l’aide. Des
médecins présents parmi eux disaient à Kahlidi que les hôpitaux étaient submergés
de blessés, manquaient de linceuls pour couvrir les cadavres. C’était
l’anarchie totale et les gents étaient en pleine panique.
Mais le pire reste à venir.
Quelques jours après l’attaque avortée contre Cheikh Jarrah, à l’aide des mêmes
obus de mortier de 76 mm que ceux utilisés à Haïfa, les quartiers palestiniens
du nord et de l’ouest de Jérusalem furent soumis au pilonnage incessant. Seul
Shu’fat tint bon et refusa de se rendre. Katamon tomba dans les derniers jours
d’avril. Yitzhak Lévy, chef du renseignement de la Haganah à Jérusalem, se
souvient : « Tandis que le nettoyage de Katamon était en cours, les
pillages et les vols ont commencé. Des soldats et des citoyens y on pris part.
ils entraient dans les maisons et prenaient les meubles, les vêtements, les
appareils électriques et les produits alimentaires. »
L’entrée en jeu de la
Légion arabe jordanienne changea la situation, et les opérations de nettoyage
furent arrêtées à la mi-mai 1948. Des Jordaniens avaient déjà participé aux
combats antérieurs en qualité de volontaires, contribuant ainsi à ralentir
l’avance juive, notamment pendant la conquête de Katamon, qui avait nécessité
des combats acharnés dans le monastère de Saint-Simon. Mais, en dépit de leurs
efforts héroïques - c’est le terme
qu’emploient Lévy et ses amis – pour défendre les quartiers palestiniens de
l’Ouest, ils ont échoué. Globalement, huit quartiers palestiniens et
trente-neuf villages ont subi le nettoyage ethnique dans la région du grand
Jérusalem, et la population a été transférée dans la partie est de la ville.
Aujourd’hui, les villages ont disparus, mais certaines des plus belles maisons
de Jérusalem sont encore debout, désormais habitées par des familles juives qui
les ont prises immédiatement après l’éviction de leurs anciens propriétaires –
rappel muet du sort tragique de ces derniers.
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